Le mot « clochard » sonne mal.
Le clochard sonne toujours au mauvais moment.
Il y a longtemps, on faisait appel à des nécessiteux pour sonner les nombreuses cloches des églises en échange d’un repas ou de quelques sous…
Le mot « clochard » sonne mieux…Un jour, il a sonné.
Il est entré ivre et titubant. Il a trébuché et a fait claquer le portail.
Ma petite nièce jouait dans le jardin, elle a eu peur et s’est mise à pleurer.
Fâché, je lui ai dit de revenir quand il n’aurait pas bu.
Il est venu le jour suivant, sobre… et fier de me le faire remarquer.
Je lui ai donné trois euros.
Puis il est revenu régulièrement ou irrégulièrement. Sans avoir bu.
Trois euros.
Puis certains de mes voisins se sont mobilisés en rédigeant une pétition pour se plaindre que ce Mooonsieur n’était pas le bienvenu dans noootre allée PPPrivée.
Il a été augmenté de deux euros.
Il est revenu.
Il veut me vendre un opinel ou une boite de biscuits.
Il me dit que je peux lui faire un chèque si je veux.
Il me parle du temps.
Je lui demande s’il n’a pas trop froid ou trop chaud selon la saison.
Il me dit toujours que ça va.
Je lui donne des chaussures, des pulls ou des chaussettes… et cinq euros.
Mais il ne me serre jamais la main que je lui tends.
Il me dit qu’il est passé plusieurs fois mais que je n’étais pas là.
Je lui dis que je suis photographe et que je voyage souvent.
Il dit qu’il comprend mais c’est mieux quand je suis là.
Je ne comprends pas toujours ce qu’il me dit.
Un jour, je me suis cassé la cheville. Un jour à cinq euros.
Il est revenu en laissant pour moi un bouquet de fleurs artificielles emprunté dans le cimetière d’à côté. Il est reparti en me souhaitant un bon rétablissement, sans prendre les cinq euros.
Il ne porte jamais les vêtements que je lui donne.
Un jour, il fait froid. Je n’ai pas cinq euros. Je lui donne une boite de thon, un demi camembert, deux oranges et du pain. Il me remercie. Il revient deux heures plus tard. Je lui dis que je n’ai toujours pas cinq euros. Il me répond que je devrais acheter du thon à l’huile plutôt que du thon nature…
Un jour, il me dit qu’il a travaillé à la compagnie des eaux, maintenant je pense que c’est le vin qui lui tient compagnie.
Je lui demande son prénom mais il ne me le donne pas. Je lui dis le mien.
Il vient toujours sans être alcoolisé.
Un jour, il me demande de lui garder une mappemonde lumineuse qui fonctionne, précise-t-il. Je l’ai toujours mais il ne souhaite pas la récupérer pour le moment…
Un jour, je l’ai croisé dans le bus. Il était ivre et sentait très mauvais. Je ne l’ai pas salué et me suis fait discret… Sûrement par lâcheté.

Un jour, le 10 Avril 2010, je le trouve super beau et bien habillé. Je lui dis. Il me dit que c’est normal pour venir voir son meilleur client. Je lui sers enfin la main et lui propose de faire une photo. Il accepte… C’est maintenant mon pote à cinq euros.

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Un jour, le 24 Février 2012, il est revenu. Il me serre la main. Il a vieilli mais a toujours son regard espiègle. Je lui demande de ses nouvelles mais je ne comprends pas ce qu’il baragouine… Je lui demande s’il a un endroit pour se mettre à l’abri. Il me répond qu’il a un petit appartement pas loin d’ici. J’en doute. Je lui donne un gros pull en lui faisant promettre de bien le mettre. Cinq euros et une photo. Il fait très froid.

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Un jour, le 24 Avril 2012, il vient pour faire sa photo et est très fier de son chapeau. Pour la première fois il franchit de lui même le portail. Pendant la photo, il me dit que c’est vraiment bien là où j’habite. Je suis gêné et c’est à mon tour de baragouiner une phrase inaudible… Cinq euros.

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Un jour le 7 Juin 2012, il veut me vendre des abricots secs vraiment secs. Il est content de la chemise que je lui offre. Et en plus avec des pressions au lieu de boutons… Il fait très chaud. Il accepte d’un air sceptique et intrigué une bouteille de vin sans alcool… Je pars pour un rendez-vous une heure plus tard. Il dort allongé sous un arbre, la bouteille vide à ses cotés.

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Un jour, le 17 Juillet 2012, il me donne son prénom : Bernard. Maintenant mon pote à cinq euros a un prénom !!!!!! Cela vaut une photo. Puis nous parlons ensemble de la météo, des prévisions météo, encore de la météo. Sans transition, il dit qu’il se méfie des noirs car il s’est fait voler ses affaires par des « noirs clairs ».

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Un jour, le 23 Aout 2012, il vient mais visiblement, il ne souhaite pas parler… Je lui serre la main… un peu crade mais douce.

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Un jour, le 12 Septembre 2012, il m’explique qu’il a un tour bien planifié pour vendre ses calendriers 2013… Il prend le bus 115 puis finit à pied. Mais il commence toujours par moi car je suis son meilleur client. Photo et cinq euros, mais pas de calendrier 2013.

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Un jour, le 2 Octobre 2012, il arrive au moment où je pars en Belgique. Bernard me dit que c’est loin mais que les moules sont bonnes… et les frites aussi ! On rit aux moules frites !

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Un jour, le 23 Octobre 2012, il essaie de me vendre un casse-noix. Cela le fait rire. Il est en forme et me raconte qu’il aime bien se promener et qu’il rencontre plein de gens… Il connaît même un sénégalais qui avait un arrière père « tirailleur-Sénégalais ». « Son petit billet de 5 euros en poche » (dixit mon pote à cinq euros), il repart. Je lui dis que je pars bientôt en reportage au Rwanda et RDC.

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Un jour, le 25 décembre 2012, il arrive pour me vendre deux boites de gâteaux. Je lui propose de la purée maison et du bœuf aux épices mais il n’en veut pas. Il me demande si mon voyage en Afrique s’est bien passé (il se souvient bien). Mon client a annulé ce reportage suite aux mouvements rebelles dans la région du Kivu. Il me dit que les hommes n’aiment que l’argent et se battre… Il retire son bonnet pour la photo car il s’est fait couper les cheveux. Je lui dis qu’il est beau comme un roi, mais j’aurais préféré qu’il garde son bonnet… il avait un super look ! Dix euros car c’est Noël et on se quitte en se souhaitant mutuellement de bonnes fêtes. Je suis mal à l’aise.

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Un jour, le 03 Mars 2013, il arrive à la tombée de la nuit. Il tousse et je le trouve fatigué. Je lui demande comment il va. Il me répond qu’il est déjà venu mais que je n’étais pas là. Il trouve que mon voyage en Afrique était trop long. Je lui demande s’il souhaite récupérer sa mappemonde lumineuse qu’il m’a laissée en dépôt depuis 3 ans maintenant. Il me répond qu’elle est en sécurité ici et il m’explique que les géographes des planètes ont bien fabriqué la terre… Toute ronde, un peu applatie en haut et en bas et surtout bien penchée sur le côté. Je lui dis que je viens d’avoir une petite fille… Il me demande combien elle pèse… 2,6 kg. Il me dit que c’est trop petit et que les bébés pèsent environ 3,3 ou 3,5 Kg. Je lui demande s’il a des enfants mais il répond par la négative. Il me dit qu’il a travaillé comme vendeur chez Blédina en Normandie, vers Le Havre. J’enclenche la conversation pour connaître la suite mais il dit qu’il doit partir. Il pose pour la photo avec des yeux las et ne regarde même pas combien je lui donne. Je lui demande s’il a besoin de quelque chose, mais non, dit-il en s’en allant. Il est sale et il pue mais, c’est vrai, ses visites me font plaisir. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu.

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Un jour, le 03 Avril 2013, il me demande des nouvelles de Violette ma fille de 2 mois et me dit de bien l’emmener chez le pédiatre. Je lui re-demande s’il a des enfants et là, surprise, il me dit qu’il a une fille mais que sa mère est une vraie tête de mule. Sa fille s’appelle DAPHNEE et a quarante ans environ. Sa mère était serveuse dans un bar à Bourg-en-Bresse.Il ne les voit plus depuis très longtemps, puis gêné par ma question, Bernard se lance dans un grand monologue que je ne comprends pas. Il me paraît très fatigué. Je lui dis de bien prendre soin de lui et il s’en va avec sa boite de gâteaux, ses paquets et cinq euros.

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Un jour, le 21 avril 2013, Bernard arrive en claironnant que les Violettes poussent avec le printemps (Violette est le prénom de ma fille de 2 mois et demi à cette date). Je suis content qu’il s’en souvienne ! Bernard est en forme et je lui propose un café. Avec 2 sucres ! Il remue énergiquement et consciencieusement son café pendant au moins dix minutes. Il me dit que le dernier client qu’il vient de voir, est un ancien résistant de la guerre de 39/40. « Ils nous en ont bien fait voir, les allemands, mais maintenant c’est fini », dit Bernard . J’ai même des copains tirailleurs sénégalais… Ils travaillent dans la station service… Il est en forme et me dit qu’il n’a pas eu le temps d’aller chez le coiffeur pour la photo… On rit. Aujourd’hui j’ai le temps, lui aussi. Mais je ne comprends pas tout ce qu’il me raconte… Le Havre, c’est mieux que Rouen ! Il dit qu’il n’aime pas quand je pars en Afrique car ils se battent beaucoup… Je lui demande son âge… Il me répond 60 ans… Le reste est inaudible mais j’ai passé un bon moment. A bientôt Bernard !

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Un jour, le 10 Mai 2013, Bernard m’annonce qu’il n’a rien à vendre mais que cela n’a pas d’importance car je ne lui achète jamais rien… 5 euros avec un reste de monnaie… Il me redit que Le Havre c’est mieux que Rouen. Je lui demande pourquoi. Il m’explique, alors, qu’il vendait du lait pour enfants (Blédina) à la maternité du Havre mais que la maternité de Rouen achetait du lait Guigoz… Il avait toute la maternité du Havre à lui. Je lui demande si c’était lui qui avait fait tous ces enfants… On rigole, puis il me dit qu’il est pupille de la nation… Après il rentre dans un monologue incompréhensible. Nous reparlons de la météo et il repart faire son tour. « En passant par ATAC et direction les Brotteaux (quartier de Lyon) par le trolley », il m’explique son itinéraire bien planifié.

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Un jour , le 11 Juin 2013,  je lui ouvre la porte avec ma fille de 5 mois dans les bras. Il la trouve «bien belle et bien vive» et me dit que s’il avait su, il aurait mis une belle veste. Elle lui sourit. Il est tout fier. Nous reparlons de l’époque où il vendait du lait au Havre. Toujours cette inquiétude que je reparte en Afrique. Il ne comprend pas que des « gens »  m’envoient travailler là-bas. Je lui explique que, par exemple, je pars en reportage pour réaliser des photos sur les chauffeurs routiers dans le monde pour la marque des camions RENAULT. Il me dit que c’est bizarre d’appeler leurs camions RENAULT TRUC… Il repart mort de rire.

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Un jour, le 12 Juillet 2013, une Porsche (pas la mienne !!!) est garée devant chez moi quand il sonne. Je lui demande s’il est venu avec cette voiture. Il me dit que les Porsches ne sont pas très confortables. Bernard m’explique que son patron, quand il vendait des adoucisseurs d’eau, l’avait emmené jusqu’à Dijon avec une porsche, mais pas une décapotable. Le nez sur la vitre pour voir le compteur de vitesse, j’imagine la tête de mon voisin en regardant la scène… Il fait très chaud. Je lui offre 2 bouteilles de Perrier et lui répète qu’il faut s’hydrater régulièrement avec de l’eau. Pour lui, l’eau n’a pas de goût et que dans la bière, il y a au moins 90% de flotte dedans… me dit-il.

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Un jour, le 23 Juillet 2013, il me dit qu’il vient un peu plus souvent car il y a beaucoup de gens en vacances. Il me demande égalemnt mes dates où je vais partir en vacances… Juste une semaine, il a l’air d’être rassuré… Perrier, causette, cinq euros et il me dit tout de go son nom de famille : Guérin… Guérin Bernard, comme s’il venait de s’en souvenir… Et il repart récupérer sa bouteille de bière qu’il a cachée derrière un arbre avant des sonner à ma porte.

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Un jour, le 24 Août 2013, Bernard souhaite me vendre un calendrier avec une photo de dauphins. Il me précise que ce n’est pas lui qui a fait la photo… et qu’il préfèrerait du Coca à la place du Perrier car c’est une bonne eau de source mais ils mettent pas assez de bulles dedans… Il me dit que les dauphins font un sourire sur la photo… Je lui réponds qu’ils ont dû les nourrir avec des sardines pour obtenir ce sourire. « Cela doit être gros ces machins là !!!! ». Il me précise, lors de la photo, qu’il a mis sa belle veste de costume… Je lui rétorque qu’il est beau comme un « pape ». Il repart avec les 5 euros et le calendrier en prétextant que, comme je ne lui achète jamais rien et que les calendriers se vendent bien, il préfère garder le calendrier…

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Un jour, le 7 Septembre 2013, Bernard me dit qu’il m’amène un autre calendrier (sans dauphin !) car la dernière fois je n’ai pas acheté son calendrier (le filou !!!). Il refuse mon café mais veut bien volontiers du Coca. Bernard me demande si j’ai fait l’armée. Je lui réponds par la négative. Il me raconte qu’il était au 121 régiment d’infanterie pendant 23 mois dans la région de Tizi Ouzou. « C’était moins compliqué pour eux que pour les bérets verts » m’explique Bernard d’un air goguenard. Il me dit que l’on peut faire sa photo car il a mis une belle chemise et qu’il est pressé… 40 minutes plus tard nous discutons toujours de la météo, de son trajet qu’il doit faire et de la météo. Je lui demande s’il consulte de temps en temps un médecin. Il me dit que la semaine prochaine il ira en voir un à la sécurité sociale… Je lui réponds qu’il dit cela pour me faire plaisir. J’insiste et il me le promet. Je lui dis que je veux rester son meilleur client et que s’il est trop fatigué, il ne pourra pas venir me voir et que je n’aurais plus de nouvelles de lui. Il me dit alors qu’il habite rue d’Ivry à la Croix-Rousse. Mais je n’en saurai pas plus. Je lui demande pourquoi il tente de me vendre à chaque fois des objets avec un autocollant  « Polios de France ». « Parce que je me suis fait vacciné contre la polio quand j’étais petit » me répond Bernard en partant.

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Un jour, le 14 Octobre 2013, Bernard arrive en clamant que 5 euros pour une boite de pâte de fruits, c’est vraiment pas cher ! Toujours cette même étiquette sur la boite au nom des polios de France. Je lui re-demande pourquoi il fait parti de cette association alors qu’il n’a pas la polio. Il me répond qu’il a été vacciné contre la polio… J’insiste un peu. Finalement avec un œil malin et goguenard, il m’explique qu’il a décidé de créer sa propre association avec un de ses « camarades » pour vendre mieux ses produits… Il achète ses étiquettes (pour cahiers d’écoliers) et a fait fabriquer un tampon. « Avec de l’encre rouge et c’est moi qui signe » me dit-il fièrement. Son « camarade » s’occupe de Paris et lui de Lyon car ils se sont disputés il y a quelques temps. Il récupère sa boite de pâtes de fruits empoche ses cinq euros, me demande rapidement si je ne vais pas repartir en Afrique. Puis repart tranquillement avec l’écharpe en laine que je lui ai offert car il commence à faire froid. Il me dit qu’il mettra un beau costume la prochaine fois pour la photo.

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Un jour, le 17 décembre 2013, Bernard n’a pas le moral. « Il fait beau », me dit-il, « mais ils vont démolir le supermarché Casino de Tassin la ½ lune », là où Bernard récupère de la nourriture. « Je ne mange pas beaucoup , mais quand même un peu ». Je lui demande s’il souhaite que l’on fasse des démarches auprès des Resto du cœur ou à l’Armée du Salut. Il me répond par la négative et entame un monologue incompréhensible où le mot Casino revient sans cesse. Je n’ose pas lui proposer de faire une photo. Je lui offre un café avec 2 sucres puis je lui prépare un petit sac de provisions et lui double son pécul quasi mensuel. Il me propose de faire alors « notre photo » mais pas à à l’endroit habituel car il y a du monde dans l’allée. Il se trouve pas si mal que ça. Il me fait remarquer qu’il porte toujours mon écharpe et qu‘elle lui tient bien chaud. Je lui répète de bien prendre soin de lui. Il ne veut pas de couverture et s’en va. Comme un gros con, je lui souhaite de bonnes fêtes…

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Un jour, le 28 décembre 2013, Bernard est inquiet car il croit que je vais partir en Afrique. Je lui re-dis que ce projet de reportage est tombé à l’eau pour des raisons de sécurité. Il est grognon mais je sens qu’il a envie de rester. Un café avec 2 sucres. Il lui reste même un peu de mousse de café sur le nez lorsque nous faisons la photo. Encore honteux de ma réflexion ridicule de la fois d’avant, je lui donne 20 euros. Il me remercie chaleureusement. Bernard n’a pas le moral… Il repart les épaules lourdes avec ses sacs. Je suis mal à l’aise en rentrant au chaud dans ma maison.

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Un jour, le 19 Janvier 2014, gastro-entérite pour toute la maison. Je reconnais l’arrivée de Bernard à ses brefs coups de sonnette. Il est plus de 20H30. Bernard n’est jamais venu la nuit. Barbouillé, je n’ai pas envie de me lever de mon canapé. Intrigué par cette heure tardive et également un peu inquiet, je lui ouvre la porte. L’œil pétillant il me propose d’acheter ses escargots en chocolat… Avec le tampon de l’association (toujours écrit à la main), il me garantit qu’ils sont très bons. Il a décidé de s’arrêter ici car les gens sont en vacances et que la journée n’a pas été bonne pour la vente… Il encaisse son petit billet et me dit qu’il est temps de rentrer. Il me remercie pour les 2 paires de chaussettes.

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Un jour, le 27 janvier 2014, Bernard me demande encore si je vais partir en Afrique. Je le rassure. « Avec tout l’argent qu’ils dépensent à faire la guerre, on pourrait faire autre chose »  me dit-il tout de go. Je lui dis que je vais voter pour lui lors de la prochaine présidentielle. Bernard est en forme et continue de dérouler son programme : « déjà on paiera un coup à boire à tout le monde pour se réconcilier… ».  Avec ces arguments, c’est sûr, il va être élu dès le premier tour !!!! Après il m’explique qu’il a un endroit pour dormir rue d’Ivry. Cela appartient à des « bonnes sœurs ». « Quand on regarde bien, elles ont beaucoup de bâtiments…, ces curés, ils sont très riches ». Mais il me dit que la location n’est pas chère. Je n’en saurais pas plus. Une petite photo, il me dit qu’il a oublié de se raser et me demande si on voit que ses chaussures sont dépareillées. Je lui réponds que l’on regarde d’abord ses « beaux yeux » et lui promets de lui trouver une paire de chaussures. Il veut du 43 sinon non… Et il repart en se marrant.

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Un jour, le 11 février 2014, Bernard m’annonce qu’un « client » lui a donné 50 euros. « Il les a bien au chaud dans sa poche »… C’est grâce à son nouveau tampon de son association… « En rouge et avec la signature du directeur » me dit-il tout fier ! Je le photographie et il me demande une photo de son tampon encreur… Si jamais il le perd… Je lui ai trouvé une paire de chaussures à sa taille quasiment neuves. Il les regarde mais me dit qu’il ne les veut pas pour l’instant, les siennes ne lui font pas mal au pieds… Bernard porte l’écharpe que je lui ai donné.

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Un jour, le 13 Mars 2014, quelqu’un s’énerve sur la sonnette… C’est Bernard, visiblement agité, un peu rouge… Il a sûrement bu et a l’air fatigué et répète sans arrêt : « faut profiter avant que je me taise… » Je lui propose de manger un peu mais il refuse catégoriquement, puis s’adosse contre le mur et s’endort… Je retourne bosser mais je suis un peu inquiet et n’arrive à me concentrer. Il se réveille au bout d’une demi heure. Je lui propose un café, qu’il accepte, et nous commençons à parler mais je n’arrive à comprendre tout ce qu’il me dit. Je lui souhaite son anniversaire avec 2 jours de retard mais il me dit qu’il avait oublié la date et a de la difficulté à se rappeler de l’année… Finalement c’est le 11 mars 1941… Sauf changement !! 2 semaines auparavant, j’avais croisé Bernard dans le métro. Nous avions discuté tranquillement pendant le trajet bien assis sous le regard outré des autres voyageurs tassés dans un coin de la rame. Bernard sentait très mauvais, mais vraiment très mauvais. Bref, en faisant abstraction de cette odeur nauséabonde, le trajet fut plutôt calme et agréable. A la sortie, il y avait des contrôleurs. Bernard m’a dit de le laisser et qu’il attendait que tout le monde sorte. Je lui demande alors comment s’est passé son contrôle. Il me répond qu’il a un accord avec la direction des TCL (Transport en commun de Lyon) et que pour lui, c’est gratuit, avec un petit sourire et son œil malicieux… Puis il repart dans un monologue incompréhensible mais n’a pas envie de partir… Re-café puis photo, il me dit qu’il aurait dû aller chez le coiffeur et moi je lui rappelle que ce serait bien qu’il aille chez le médecin et que je peux l’aider s’il le souhaite… « Bientôt, sûrement bientôt » et il s’en va.

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Un jour le 5 avril 2014, Bernard arrive démoralisé. La journée a été mauvaise. C’est la raison pour laquelle il vient avant de rentrer « chez lui ». Il empoche prestement ses euros, refuse un café ou un Perrier et s’en va rapidement…

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Un jour, le 19 mai 2014, il arrive habillé comme un milord… « C’est pour le festival de Cannes ! La TV et la radio vont parler de moi » dit-il . Bernard me demande un sac « propre et net » pour mettre ses affaires. Nous buvons un café avec 2 sucres. Il m’ interroge pour savoir si mon travail marche bien. Je lui réponds que c’est calme. Je vois une lueur d’inquiétude dans ses yeux. Je lui donne 5 euros et toute ma monnaie. Il est rassuré et me dit que lui aussi, il a de la concurrence… Nous parlons un peu du temps et de son prochain itinéraire. Il est inquiet car la pluie menace et il a laissé ses affaires dehors… « Déjà qu’il y a des fourmis dans mes poches ». Et Bernard part dans un monologue que lui seul comprend… peut être !

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Un jour, le 21 juin 2014, Bernard sonne vers les 22h00. Il est inquiet et tourmenté. Il me montre un numéro de téléphone inscrit sur un journal. Il m’explique que ses affaires sont enfermées chez cette personne et me demande de lui téléphoner pour qu’il lui ouvre la porte afin de récupérer ses sacs. J’appelle et je tombe sur la permanence des pompes funèbres… Je tente d’ expliquer. Mon interlocuteur me dit qu’il ne peut rien faire et me demande de dire à ce  » monsieur »  d’arrêter de déposer ses affaires dans le couloir de la permanence. J’arrive tout de même à ce qu’il me donne le code. Il me dit en raccrochant qu’il le fera changer dès demain. Bernard est soulagé et pressé d’aller récupérer son paquetage. Il n’oublie pas de demander un peu d’argent , puis me propose de payer la communication et de faire la photo mais « vite alors… ».Vite alors !

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Un jour, le 15 juillet 2014, je reconnais Bernard à sa façon de carillonner. A peine ai-je ouvert la porte, il me demande quand je prends mes vacances car il a besoin de savoir pour son planning… Je lui propose un café qu’il accepte parce qu’ils sont bons… Toujours 2 sucres et le même rituel de tourner sa cuillère lentement et sans parler. Puis il me remercie de l’avoir aidé la fois passée pour mon appel à la permanence des pompes funèbres. Il a pu récupérer ses affaires avant la pluie. Il me dit qu’il va aller se faire arracher une dent qui le gêne… Il n’a pas mal mais elle est plus grande que les autres… (c’est peut-être la dernière aussi…). Nous faisons une photo, mais avant, il souhaite se coiffer avec le peigne qu’ il a amené pour l’occasion. Il me raconte, alors, qu’il est déjà aller à l’hôpital (mais ne se rappelle plus quand…). Il s’est fait renversé par une voiture et a eu le tibia et le péroné cassés… Il me dit qu’il a aussi gagné des millions après son accident… mais maintenant son avocat est mort… Je ne comprends pas tout. Je lui dis que je pars en déplacement toute cette semaine. Il me répond tout en me saluant que je dois faire attention sur la route car « on part joyeux et souvent… ». Je ne saurais pas la suite mais la devine aisément.

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Un jour, le 27 Juillet 2014, Bernard arrive sapé comme un prince. Il souhaite bien s’assurer de mon planning pour les vacances. Nous prenons un café. Je le complimente sur son costume. Il me dit que c’est un costume de président de la république. Je lui réponds que je vais voter pour lui… Puis il enchaîne un monologue « si au début, on ne comprend pas, à la fin ,on ne comprend plus rien ». C’est vrai je n’ai pas compris au début et plus rien quand il est parti.

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Un jour, le 4 Septembre 2014, Bernard est très fier de me proposer un calendrier 2015 avec des dauphins « avant la poste !!! » avec un regard filou. Bernard est pressé et aurait bien zappé la photo. Ne pas se faire doubler par les « PTT ». Une photo vite fait sous une lumière crue et le voilà déjà reparti. Dommage j’avais du temps pour discuter avec lui.

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Un jour le 29 septembre 2014, Bernard arrive en titubant et en me jurant qu’il n’est pas saoul. Je lui propose un café. Il accepte avec 2 sucres car mon café est bien bon. Il me demande finalement les chaussettes que je lui avais proposées la dernière fois. Après notre photo Bernard commence à m’expliquer qu’il a fait des études supérieures de commerce à Liège juste après son service militaire. Je lui réponds en louant ses qualités de commercial et de « directeur de son association ». Il rit de bon cœur. C’est un filou… Bernard part alors dans un monologue où il m’explique que la radio parle tous les jours de son association et que notre président de la République soutient son travail. Il commence à s’agiter. J’essaie de l’apaiser en lui parlant doucement. Il boit le verre d’eau que je lui amène. Il me dit qu’il doit partir. Je lui demande si ça va aller, mais Bernard ne me répond pas…. et s’en va.

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Un jour le 20 Octobre 2014, Bernard arrive en claironnant qu’il est heureux comme un poisson dans l’eau parce qu’il fait beau… Il va faire une grande tournée aujourd’hui, maisons et immeubles. Je lui demande s’il arrive à se faire ouvrir les entrées des immeubles lorsqu’ il y a des interphones. « Bien sûr, tout le monde doit travailler ». Je retrouve son instinct de commercial… Nous buvons un café avec 2 sucres mais il refuse les canettes de Périer. Il est déjà très chargé. Nous reparlons de la météo. Il me dit que c’est dommage pour la photo mais qu’il a l’intention d’aller demain chez le coiffeur… Il essaie de m’expliquer quelque chose sur un de ses copains mais s’embrouille. Il s’énerve, peste contre lui, re-tente de m’expliquer mais n’y arrive ras. Il est maintenant en colère contre lui, accepte la photo et s’en va en bougonnant…

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Un jour le 12 Novembre 2014, Bernard s’acharne sur le carillon… Il pleut des cordes. Il apparaît avec un bonnet style père Noël…  « Deux euros, c’est une très belle affaire », dit-il fièrement. C’est bientôt Noël et j’en profite… « Je me sens comme un poisson dans l’eau et je prendrais bien un café avec deux sucres car il est bon votre café ». Un café avec deux sucres. « En fait, on fait le même métier… », « Tous les deux, on a des clients !!! ». « Si je vends bien mes pâtes de fruits, j’irais manger chez Bocuse. Combien ça coûte pour manger là-bas ?  « Je ne sais pas mais je lui annonce environ 200 à 250 euros. « Houlala, alors je suis à la bourre » dit-il en se marrant. Il est content et nous restons sous la pluie à déguster notre café. Il est content et moi aussi…

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Un jour le 26 Novembre 2014, Bernard arrive un peu perdu. Monologue incompréhensible. Il tousse. Je lui propose un sirop contre la toux et de l’aspirine. Il refuse. Sa parka est chaude mais il a perdu son bonnet. Je lui promets de lui en trouver un avec des gants. Il m’explique son parcours puis se ravise car la personne n’est pas là… Il me dit qu’il a trouvé un nouveau quartier bien rentable. « Ils ont de la monnaie à Pont de Chéruy !!! ». C’est loin… Je lui réponds que c’est normal lorsque c’est pour une belle association et une bonne cause. Il me fait un clin d’œil et me fait « chut » avec un doigt sur la bouche pour me faire garder le secret. Puis il s’en va en recomptant la monnaie que je viens de lui donner. Ca va, il a l’air satisfait.

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Un jour le 08 Janvier 2015, je m’apprête à partir quand on sonne à la porte. Je reconnais Bernard à ses coups de sonnette insistants. Je me retrouve face à Bernard  le visage en sang. Il commence par râler en me reprochant que je n’étais pas là le jour de l’an. Il me dit qu’il est tombé car ses lacets se sont défaits. Je regarde l’étendu des dégâts. Il a deux plaies : une, légère sur le front et une autre, sur l’arête du nez qui nécessite un ou deux points de suture, à mon avis… Je lui propose de l’emmener à l’hôpital mais il refuse catégoriquement et veut repartir… Je lui dis alors que je vais nettoyer ses plaies. Il accepte. Je cours chercher compresses et désinfectant. A mon retour, Bernard est en train de s’essuyer avec son bonnet crasseux et maintenant plein de sang… Je nettoie les plaies et l’hémorragie du nez finit par s’arrêter. Je lui pose alors un gros sparadrap dessus. Il est étonné car le désinfectant ne le pique pas. « C’est celui que j’utilise pour ma fille ». Bernard rigole en disant que c’est lui le bébé. Il m’explique à nouveau comment il est tombé… A cause de ses lacets défaits (qui le sont toujours) et de ses 2 gros sacs qu’il tenait dans chaque main. Il veut remettre son bonnet car il fait froid. Je lui dis qu’il est vraiment plein de sang et qu’il va faire peur aux gens. Je vais alors lui chercher une écharpe rouge laissée dans mon studio photo par un ou une de mes clientes. Il est super content et dit même que cette écharpe est mieux que celle que je porte… Je me rappelle alors que j’ai dans un de mes tiroirs dédié au stylisme, un bonnet style péruvien avec pompon. J’hésite à lui proposer car il est rose bonbon… Je lui montre. Il le trouve très beau et me dit qu’il lui cache bien ses oreilles… Il est ravi et veut faire une photo. Il ressemble à une meringue mexicaine… Il me dit alors qu’il est en retard, encaisse prestement son petit billet et me promet de revenir dans 3 jours afin que je lui change son pansement.

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Un jour le 11 février 2015, Bernard arrive avec sa tête des mauvais jours. Je lui offre un café avec 2 sucres qu’il boit sans rien dire. Je respecte son silence. Je lui dis que je n’ai pas beaucoup de monnaie sur moi. Il me répond que ce n’est pas grave et qu’il y a des jours où l’on a moins d’argent … . Il veut bien un autre café. Je lui rappelle alors qu’il devait revenir à la maison afin que je lui change son pansement. J’ai l’impression qu’il a oublié cet évènement puis se souvient et me dit que tout va bien. Il a bien cicatrisé. Il me dit que beaucoup de gens sont partis en vacances. Je lui re-dis que je suis désolé mais que je n’ai que 3,50 euros sur moi. Il refuse que je lui donne à manger mais me suggère que je pourrais lui faire un chèque … . Je lui propose de revenir demain. Il ne me répond pas. Puis il me dit qu’il a perdu son écharpe rouge ou peut être qu’elle est dans ses affaires … . Il ne sait plus. Nous faisons rapidement une photo et s’en va d’un pas lourd. Je sais qu’il ne viendra pas demain mais j’espère me tromper.

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Un jour, le 22 février 2015, c’est un dimanche et il fait froid. Je me rends compte que Bernard a froid quand il arrive. « Ça va » il me dit. Puis en discutant autour d’un café avec 2 sucres, Bernard me dit qu’il n’a pas de chaussettes et qu’il a froid aux pieds. Je vais lui chercher une paire de chaussettes bien chaude dans mon placard. Mais il ne souhaite pas les mettre devant moi. Je lui demande s’il a des blessures aux pieds … . Il me regarde étonné et me répond par la négative. Puis il me demande si je n’aurais pas un pull. A nouveau direction mon placard. Il plie soigneusement le pull et les chaussettes. A nouveau un café avec 2 sucres. Bernard est souriant lors de la photo (c’est rare !), toujours la bouche fermée car il ne lui reste que quelques dents en mauvais état. Je lui propose de lui acheter de la soupe en sachet. Il me dit que c’est bon surtout avec des pommes de terre. Pas de problème Bernard, c’est noté sur la listedes courses … . J’espère qu’il va rapidement mettre ses chaussettes et le pull et surtout qu’il ne va pas les perdre ou les oublier au fin fond de son sac à carreaux.

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Un jour, le 19 mars 2015, j’entends Bernard m’appeler derrière la porte. « Comment ça va ? » me dit-il dans une quinte de toux grasse qui n’en finit pas. « Ça sent le sapin »ajoute-t-il avant de se plier en deux et de continuer à tousser. Je lui tends un verre qu’il regarde d’un air sceptique mais finit par le boire. Je lui propose un café. Il me précise qu’il le préfère avec deus sucres. Nous parlons de la météo du jour. « C’est très important car quand il fait beau, les gens donnent plus d’argent…» me dit-il. « Et comment va votre petite Violette (ma fille), elle pousse ? ». Je lui réponds que tout va bien et qu’elle a déjà son petit caractère bien affirmé et que nous la mettons au coin de temps en temps. « Pas trop, j’espère…  » dit-il en s’étranglant dans une nouvelle quinte de toux. Je le rassure en lui disant qu’il a de bonnes connaissances dans l’éducation des enfants. « Ma fille était tout le temps chez la nourrice, puis c’est sa mère qui s’en est occupée ». Puis Bernard part dans un monologue incompréhensible. Pour rompre ce moment où je le sens tourmenté, je lui dis que je lui ai acheté des sachets de soupe. « C’est bon la soupe » me dit il en examinant les sachets. Il a l’air d’être content, en profite pour me demander deux canettes de Coca-Cola, puis m’en propose une. Il repart dans un monologue avec mots audibles comme concurrence, son ami Georges qui est maintenant en prison et de balais à 15 euros. Nous restons un bon moment silencieux. Il a l’air à l’aise, moi un peu moins. Je lui dit que nous avons déjà fait 41 photos ensemble et lui propose de lui montrer sur mon Mac. Il me dit alors qu’il préfère rester dehors tranquillement en ouvrant sa deuxième canette de Coca. Cinq euros. Il me dis que je suis un client sûr. Puis il s’assoit, regarde sa cagnotte du jour et dit qu’il fait très attention aux roublards. Encore un peu de météo puis s’en va en me remerciant.

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Un jour, le 15 avril 2015, Bernard est en forme. Il a meilleure mine que la fois précédente. Il est content car il fait beau, et il a vendu ses deux boites de biscuits. Il me demande sans cesse s’il doit aller en chercher une autre. Je ne saisis pas tout de suite son insistance pour cette autre boite de biscuits. Je comprends qu’il est gêné de ne rien avoir à me vendre. Je le rassure en lui donnant ses cinq euros. Bernard sait bien que je ne lui achète jamais rien mais ne veut pas avoir l’impression de faire la manche. Satisfait, il s’assoit et dit qu’il prendrait bien un café avec 2 sucres. Nous parlons de la météo. Bernard mélange consciencieusement son café et prend son temps. Je lui dis que je lui ai acheté des sachets de soupe. Il est sincèrement touché et me remercie chaleureusement plusieurs fois. « C’est bon la soupe et c’est facile de trouver de l’eau chaude » me dit il en rangeant les sachets dans son sac. Puis Bernard m’explique que beaucoup de ses clients sont partis en vacances. Il me dit que c’est dommage car les gens donnent plus d’argent quand il fait beau.« Bon, on se la fait, cette photo !!! » « Je ne suis pas allé chez le coiffeur mais il fait beau » me dit il en se mettant face à l’objectif. Je lui montre la photo. Bernard se trouve bien. Il me raconte alors qu’il avait une Peugeot 204 cabriolet quand il était jeune.« On pouvait monter à quatre dedans, mais les places à l’arrière étaient petites ». « J’ai perdu mon permis de conduire mais maintenant je me déplace à pied ou en bus, alors… » .Bernard me demande, alors, si je pars en vacances. « Oui, la semaine prochaine chez ma mère ». « Je la connais » me dit-il « Vous lui présenterez mes salutations » … . Bernard a raison. Lors d’une de ses visites, ma mère, qui passait quelques jours chez moi, lui avait ouvert la porte.

C’était il y a 10 ans, bien avant qu’il devienne mon pote à cinq euros …

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Un jour le 12 mai 2015, Bernard arrive tout joyeux : « Je prendrais bien un café avec deux sucres et peut-être après, un deuxième car il est bien bon, votre café… » Je lui apporte son café avec deux sucres ainsi que deux boîtes de soupe instantanée. Il me remercie. Ma fille s’amuse dans le jardin. Bernard s’approche un peu d’elle et commence à lui faire des petits signes de la main. Elle lui répond par des « coucou« . Il n’ose pas s’approcher plus et me demande si les sachets de soupe que je viens de lui donner ne vont pas manquer à ma fille. Je le rassure et le remercie. Je lui demande alors si sa fille lui manque et regrette aussitôt ma question un peu trop directe. Bernard me répond en détournant la tête « il y a si longtemps…«   Il change aussitôt de sujet de conversation et me dit fièrement qu’il est allé chez le coiffeur pour la photo. Je vais  chercher mon boitier. Bernard fait toujours des petits signes à ma fille. Je lui propose d’aller la voir mais il refuse, sous prétexte de ne pas la déranger… Bernard me fait presque un sourire pour la photo. Je lui dis que j’ai rencontré une personne (via le Huffington Post) qui l’a connu quand il était jeune. Il est tout étonné mais après un petit moment d’hésitation il semble se souvenir.     « Cette personne vous trouvait très beau ». Bernard savoure et commence à me parler de cette famille. Il s’embrouille un peu mais il est content. Il me dit qu’il a toujours été élégant. C’est vrai. Après son deuxième café avec deux sucres, Bernard me demande un sac solide pour porter ses affaires. Il me montre ses nouvelles étiquettes pour ses boîtes de chocolats. Il les écrit à la main car il a perdu son tampon. « Je les signe aussi, c’est plus sérieux » me ditil avec son œil filou. Il empoche ses cinq euros, range méticuleusement ses sachets de soupes dans son sac. Il me remercie plusieurs fois. Puis il s’en va en me disant qu’il se trouve très beau sur la photo…

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Un jour, le 10 juin 2015, Bernard s’acharne un peu trop à mon goût sur la sonnette de l’entrée. Je lui ouvre le portail. Il entre en titubant, se retourne et part cacher sa bouteille de bière derrière un arbre. Il me dit qu’il est passé plusieurs fois ces derniers jours et que je n’étais jamais là. Je lui réponds que je travaillais à l’extérieur, et surtout, je lui rappelle que je ne souhaite pas qu’il vienne alcoolisé. Il se justifie en me disant que ce n’est que de la bière…  Puis Bernard me dit qu’il est fatigué et qu’il aimerait bien se reposer à l’ombre dans mon jardin. Je lui propose un café avec 2 sucres et nous nous installons sous un arbre. Bernard m’explique que tous les matins il lit le journal… « Surtout le cours du pétrole ». Puis Bernard commence un monologue « le pétrole devrait être gratuit… »  « On ne peut pas savoir de quel pays vient le pétrole, car l’essence a toujours la même couleur… », « L’Allemagne est une petite parcelle qui vient de rentrer dans le marché commun… »  « Je ne vote pas car les hommes politiques sont des filous ». Puis Bernard m’annonce en regardant au loin qu’il a perdu une bonne cliente, une dame autrichienne. Elle est décédée la semaine dernière… C’est sa fille qui lui a annoncé. « Il ne faut pas trop parler de la mort, mais toujours y penser un peu » me dit-il en sirotant son deuxième café avec 2 sucres. Il me propose de lui acheter une boite de biscuits avec une étiquette faite par ses soins. Je vais alors lui chercher quelques pièces dans la maison. N’ayant pas de monnaie, je racle les fonds de tiroirs et fonds de pantalons. J’arrive avec une poignée de pièces jaunes. Il empoche prestement les pièces de monnaie en me demandant si je les ai prise dans la tirelire de ma fille… Nous discutons une bonne heure. Un livreur d’une grande compagnie de livraison sonne. Je lui ouvre pour récupérer un pli urgent. Il regarde avec un air méprisant Bernard et dit tout haut que je dois me méfier de « ces gens » si je ne veux pas me faire cambrioler. Estomaqué, je lui rétorque que Mr Bernard est mon invité. Immédiatement, Bernard me dit qu’il va partir. Puis je réalise que je n’ai pas à me justifier sur la présence de Bernard et je commence à insulter ce connard de chauffeur livreur et lui hurle de se barrer vite fait. Bernard veut partir. Je ne veux pas que Bernard parte pour des propos tenu par un imbécile. Bernard accepte alors avec un grand sourire les soupes que je lui achetées. Je lui rappelle que nous n’avons pas fait encore notre photo. Il me dit qu’il n’est pas rasé. Nous faisons la photo. Le cœur n’y est plus. Il trouve que sa veste est vraiment belle. Mais ce bon moment s’est envolé. Bernard récupère sa bouteille de bière sans même se cacher et s’en va après m’avoir demandé les dates de mon prochain reportage au Ghana. Je suis furieux, triste et amer…

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Un jour, le 15 Juillet 2015, de retour d’une promenade avec ma fille, j’aperçois Bernard qui patiente devant notre portail. « C’est monsieur Bernard » me dit ma fille du haut de ses deux ans et demi. « Je mets une belle chemise et vous n’êtes pas là » maugrée monsieur Bernard. Je lui explique que je suis souvent en reportage. Je lui dis aussi que je suis content de le voir après tous ces jours de forte canicule. « Ça va » me répond-il en souriant, visiblement content que je me préoccupe de sa santé… « Elle est bien mignonne votre petite fille, on dirait pas que c’est vous le père en vous voyant… » Gloups ! Je lui réponds qu’elle ressemble beaucoup à sa maman… Je lui propose alors un café avec deux sucres qu’il refuse mais accepte un verre d’eau bien fraîche. « J’aurais préféré de la bière mais je sais que vous ne voulez pas » dit-il en ajustant sa chemise dans un reflet de la fenêtre de mon bureau. Monsieur Bernard se positionne alors à la place qu’il a choisie pour la photo. J’entends ma fille lui dire « Ouistiti Monsieur Bernard ». Il sourit, très fier et amusé, il continue de prendre la pose. Il encaisse rapidement ses 5 euros, range ses deux canettes de Coca et ses sachets de soupe dans son sac. Puis il repart rapidement en m’expliquant qu’il préfère faire ses tournées plus tard dans la soirée pour éviter les grosses chaleurs. Il fait alors un grand sourire à ma fille et lui disant qu’elle est vraiment mignonne, elle…frederic bourcier photographe mon pote a cinq euros artwork fine art 45

 

Un jour, le 21 Juillet 2015, Monsieur Bernard sonne à la porte. Il me dit immédiatement qu’il est très fatigué et me demande s’il peut s’allonger sous les arbres de mon jardin et faire une sieste. Son sac en guise d’oreiller, il s’endort immédiatement. Je retourne dans mon bureau travailler. Il se réveille une petite heure plus tard et préfère un coca bien frais à un café avec deux sucres car il fait trop chaud. Cette petite sieste lui a fait du bien mais ses propos sont un peu incohérents. Il me demande sans cesse les dates où je serai absent mais il n’arrive pas à s’en souvenir et cela le perturbe. Il me demande un sac solide pour mettre ses prochains calendriers 2016 pour être en avance sur la poste. « Je leur fais du mal en les vendant avant eux » me dit-il avec un aplomb de commercial aguerri. C’est la première fois que Bernard vient me rendre visite à des dates si rapprochées. Il me dit qu’il souffre de la chaleur et que ses pieds lui font mal le soir. Il refuse les baskets que je lui propose : « Les baskets, c’est pour les jeunots » dit-il en regardant les chaussures que je porte. Des baskets… Il sourit, me remercie pour le sac, le coca et surtout pour les 10 euros. Après notre photo,  il s’en va en disant que ce n’est pas grave si je n’ai pas de monnaie…

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Un jour, le 27 Juillet 2015, il est tôt, vraiment tôt, quand Monsieur Bernard sonne à la porte. Je grogne un peu en lui ouvrant la porte. Il se justifie immédiatement en me disant que tout est fermé en ce moment, même le bistrot où il a pour habitude de prendre un café. Un café avec deux sucres pour Monsieur Bernard et aussi un pour moi. Monsieur Bernard m’explique que beaucoup de ses « clients » sont partis et il n’arrive pas à vendre ses boîtes de biscuits. Il a toujours cette même inquiétude sur mes dates de congés. Je lui explique que nous partons juste une semaine en Août mais il n’arrive pas à se souvenir. Il est visiblement perturbé. Je ne comprends pas ce qu’il me raconte : « je vais partir à Noirétable, il y a un chanteur et un lac… ». Je lui propose de manger un peu et de lui servir un grand verre d’eau. Il refuse. Je lui fais un peu la morale en lui expliquant qu’il doit s’hydrater régulièrement. Il me regarde avec son air filou et content de voir que je me préoccupe de lui. Il me demande de faire sa photo en se recoiffant avec un peigne édenté. Il me demande un autre café. Ma fille vient lui dire bonjour. Monsieur Bernard est tout content. Il me demande des sucres qu’il met précieusement dans sa poche ainsi que ses cinq euros. Et monsieur Bernard s’en va en me redemandant les dates de mes vacances. Il me promet de revenir avant… oui mais pas trop tôt !!!

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Un jour, le 3 Août 2015, Bernard arrive habillé comme un prince : « Je sais, je viens souvent mais regardez comme je suis beau » me dit-il en se redressant comme un jeune coq en dépit de ses deux énormes sacs qui ne le quittent jamais. « Un costume avec des fils en or ». C’est vrai, mon pote à cinq euros a de l’allure dans ce costume. « En plus, il est à ma taille, mais je ne me rappelle plus qui me l’a donné ! ». « Alors on la fait cette photo, je me suis même rasé ». Bernard est en forme et cela fait vraiment plaisir à voir. Pour la première fois, il me demande de voir la photo sur l’écran de mon appareil, pour la vérifier et la valider. Et la critique tombe : « Dommage, on ne voit pas beaucoup ma veste… » Je lui explique que c’est l’homme qui est le plus important…  Mais devant sa déception, je lui propose de le photographier de plain-pied et lui imprime immédiatement la photo. Bernard est satisfait et content. Il contemple longuement sa photo en buvant son café avec deux sucres. On discute. Météo, dates de mes congés, l’itinéraire de sa tournée, météo, le café qu’il aime avec deux sucres et surtout sa magnifique veste de costume… Il m’explique que ses meilleurs clients sont des femmes. Je lui réponds que, habillé comme il l’est, il va en faire craquer plus d’une avec son beau regard et son costume de Milord. Je ne l’avais jamais vu rire autant de si bon cœur, un rire qui se finit en quinte de toux. Entre deux raclements de gorge, il me répond qu’il a déjà divorcé une fois, il y a très longtemps… « J’en ai « soupé » des bonnes femmes, mais vraiment « soupé »… « J’en veux plus du tout !!! ». Bernard me redemande mes dates de vacances, empoche son billet qu’il a soigneusement plié, me salue en me remerciant chaleureusement et s’en va… vers de gentilles et généreuses « bonnes femmes »…

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Un jour, le 26 Août 2015, je sens que Monsieur Bernard est très perturbé quand je lui ouvre la porte. Il porte une chemise, un pull et une veste alors qu’il fait très chaud. Il me parle d’une femme avec laquelle il devait aller au restaurant, des bus qui ne fonctionnent plus, de la guerre contre les allemands, des chiens qui ont la rage… Je le force un peu à s‘asseoir et lui apporte un verre d’eau qu’il avale d’un trait. « Bon sang, ça s’embrouille dans ma tête » me dit-il après son deuxième verre d’eau. Je lui dis qu’il est trop habillé et qu’il doit boire de temps en temps de l’eau par ces fortes chaleurs. Peu à peu, Monsieur Bernard retrouve ses esprits. Je le réconforte du mieux que je peux mais je le sens ailleurs. Il refuse de manger puis accepte un café avec deux sucres. Toujours de la même façon, il tourne sa cuillère méthodiquement. Monsieur Bernard me demande de faire sa photo. « J’aime bien me faire photographier car cela me fait des souvenirs ». Quand je le photographie, je lui dis que je n’ai pas pu lui envoyer une carte postale pendant mes congés car je n’ai pas son adresse. Cela le fait rire et j’aime ça, même si son sourire ne reflète pas son état de fatigue. Je lui glisse dans la main un peu plus de monnaie que d’habitude. Monsieur Bernard me remercie chaleureusement plusieurs fois en me serrant la main. Sa main est douce mais tremble un peu. Je lui dis de bien prendre soin de lui et lui explique que je pars en reportage au Ghana pour dix jours. Je lui répète que je suis inquiet pour sa santé et que s’il lui arrive quelque chose, je ne saurais pas où le chercher. Il me répond dans un demi sourire qu’il me donnera son adresse la prochaine fois…

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Un jour, le 1er Octobre 2015, je suis content et soulagé d’entendre Monsieur Bernard s’acharner sur le carillon du portail. Il n’est pas venu me rendre visite durant tout le mois de Septembre et je commençais à m’inquiéter. Je lui fais remarquer. Il me répond sans sourciller qu’il avait beaucoup de travail. « J’ai fait tous les quartiers de Lyon » me dit-il fièrement. « Ça a bien marché mais le curé, à qui je vendais des savonnettes, est mort… ». Après un petit moment de silence, il me demande « Vous croyez en Dieu ou Jésus ? ».  Un ange passe. « Parce que pour moi, c’est difficile d’imaginer qu’il peut exister… ». Je ne sais pas comment lui répondre, alors je lui propose un café avec deux sucres. J’aime la façon dont il tourne méticuleusement sa cuillère dans la tasse. Puis il me demande si je vais partir en Afrique. Je lui réponds que j’en reviens. « Ah bon ! » dit-il d’un air étonné. Après avoir fini son café, il me demande, un peu gêné, s’il ne pourrait pas avoir une petite augmentation aujourd’hui… Bien sûr Monsieur Bernard. Il trouve que son costume est trop grand pour lui et que ce n’est pas bon pour les affaires d’être mal habillé. Il refuse les soupes que je lui propose.  « Oui, je mange » me dit-il. « Ne vous inquiétez pas ! ». Il accepte les chaussettes, un nouveau sac solide et met quelques sucres dans sa poche. Notre rituel de la photo, « Ça fait des souvenirs ! », me dit-il en s’en allant après m’avoir remercié chaleureusement.

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Un jour, le 4 novembre 2015, je sais que Monsieur Bernard est ivre à sa façon de cogner contre le portail. Dès que je lui ouvre la porte, prêt à lui faire remarquer qu’il ne tient pas ses engagements à venir uniquement lorsqu’il est sobre, il lève la main pour me couper la parole et me dit : « je sais, mais il fait tellement beau, que j’ai décidé de profiter du soleil, de boire un petit coup et de ne pas travailler… ». « Par contre, je suis habillé comme un général de l’armée et je veux faire une photo… Elle est belle ma parka, non ! ». Photo et petit café avec deux sucres. Monsieur Bernard m’explique sa tournée de demain. Il me dit qu’il passe beaucoup de temps dans un Mac Do car les gens sont gentils avec lui, et hier, ils lui ont donné un steak et des frites. Puis dans un fou rire mélangé à une quinte de toux, il me dit : « Et ce qui est drôle, c’est qu’on peut venir comme on est ! C’est marqué dans le Mac Do… ». Il refuse les sachets de soupe en me disant qu’il aime bien les frites mais accepte la paire de chaussettes. Il récupère sa bouteille de bière cachée derrière ma boîte aux lettres, me salue en me serrant la main et s’en va…

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Un jour, le 12 Janvier 2016, Monsieur Bernard s’acharne enfin sur ma sonnette… Plus de deux mois sans une visite. Je suis même parti, en vain, à sa recherche durant le mois de décembre. Il me dit qu’il va bien et qu’il ne s’est pas rasé pour la photo. Nous prenons un café avec deux sucres. Je lui dis que j’étais inquiet de ne plus avoir de ses visites. Il est visiblement content et amusé et me répond qu’il m’avait peut être un peu oublié. Puis Monsieur me demande un autre café avec deux sucres : « car il est bien bon et c’est comme cela que je les aime ». Il m’explique sa prochaine tournée, prend des nouvelles de ma fille et me demande de ne plus partir en Afrique car il y a de la « barbarie » là-bas. Je lui dis alors que je suis content qu’il s’inquiète un peu pour moi. Cela le fait rire et moi aussi… Je lui demande alors s’il a besoin de soupes, de pulls ou de chaussettes. Il me dit qu’il aimerait une belle cravate. Je lui explique je n’en ai pas et que je n’en ai jamais portée. Il a l’air visiblement étonné. Je fais alors son portrait et lui annonce que je vais lui trouver une belle cravate pour la prochaine fois. Il me dit alors : « je sais que je peux compter sur vous ». Je suis sincèrement touché par cette belle déclaration. Comme dit ma fille de 3 ans : « Il est vraiment craquant Monsieur Bernard !!! ». Il me propose de lui acheter des cartes de vœux. Je lui dis de les garder et lui donne un joli billet, mais toujours un multiple de cinq euros. Ses yeux brillent, il me remercie de nombreuses fois et s’en va rapidement, sans doute pour aller les dépenser…

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Un jour, le 8 février 2016, Monsieur Bernard a visiblement froid quand il arrive, une boite de pâte de fruit à la main. Je lui propose de rentrer dans mon bureau afin de se réchauffer, mais il refuse : « Je préfère être dehors, à l’intérieur, j’ai la tête qui tourne ». Il accepte volontiers un café avec 2 sucres. Je lui amène la cravate qu’il m’avait demandé lors de sa précédente visite. Il est content : « Et en plus, elle est neuve ! » me dit-il en la pliant soigneusement en quatre avant de la glisser dans sa poche. Monsieur Bernard me dit qu’il va la mettre pour l’enterrement de l’une de ses clientes. « Enfin, quand elle sera morte, et s’ils me disent où est l’enterrement… ». Après quelques précisons, il s’avère que la cliente en question est malade, mais pas encore décédée… « Oui, oui, c’est en prévision !! » rajoute-t-il. Monsieur Bernard me parle de la météo, du froid et de sa tournée. « Je ne suis pas trop vaillant aujourd’hui, il fait froid ». Je lui propose une écharpe qu’il refuse mais accepte un deuxième café, un petit billet et quelques pièces. Puis, après notre rituel photographique, il me dit qu’il n’aime pas les tatouages : « c’est comme du maquillage qui reste… ». Je lui dis que j’en ai un. Il éclate de rire dans une quinte de toux grasse : « Vous êtes maquillé, alors… !!! ». Monsieur Bernard reprend ses deux gros sacs et sa boite de pâte de fruit puis me serre la main et s’en va. Je l’entends encore rire après avoir refermé le portail.

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Un jour, le 25 février 2016, Monsieur Bernard sonne en début d’après-midi, sous une légère pluie fine. Je suis en pleine séance de prises de vue pour une belle marque de bijoux. Mes clients connaissent l’existence de Monsieur Bernard et suivent régulièrement ses visites… Toute l’équipe qui travaille avec moi, aussi, bien évidement !!! Je peux donc m’éclipser pour aller discuter avec Monsieur Bernard. Bruno, assistant photographe attentionné et serviable, lui amène déjà un café avec deux sucres. Je raconte à Monsieur Bernard que la veille, il y a eu un tournage vidéo pour une pub d’un fromage dans mon studio photo et que la production du film, connaissant les visites de Mon Pote à Cinq Euros, m’a laissé des fromages n’ayant pas servi au tournage et qui ont été bien conservés au frais. Je lui demande s’il les veut. Il accepte avec un large sourire et des yeux qui brillent. C’est rare de voir Monsieur Bernard avec un aussi grand sourire. Il se lance alors dans un discours vantant les qualités des fromages avec un air de conférencier consciencieux… Tout y passe : les qualités nutritionnelles, le calcium, les goûts, sa fabrication à base de lait… « Les fromages, c’est une spécialité de la France, le monde entier le sait ! » m’explique t-il d’un air assuré. Une jolie mannequin, qui a fait une pause cigarette, en attendant mon retour, est intriguée puis amusée par notre discussion. Monsieur Bernard, aussi. Monsieur Bernard est vraiment content et continue sa prose dithyrambique sur les fromages. Son petit café avec deux sucres terminé, il range ses cinq petites pièces, prend délicatement ses deux fromages, refuse l’écharpe que je lui propose, me montre la fameuse cravate toujours pliée en quatre dans sa poche et s’en va avec ses gros sacs après m’avoir remercié à multiples reprises.

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Un jour le 18 Mai 2016, Monsieur Bernard m’appelle devant la porte du portail laissée entre-ouverte. « Je voulais juste vous remercier pour le repas de la dernière fois » me dit-il. Je lui demande s’il a faim et Monsieur Bernard me répond par la négative. « Merci, mais je suis pressé… ». Je lui propose un café avec deux sucres, qu’il accepte. Je reviens avec le café et Monsieur Bernard se recoiffe déjà pour la photo. Monsieur Bernard me parle de la météo et de sa tournée. Un deuxième café et quelques canettes d’eau pétillante et bien fraîche et des madeleines dans son gros sac. Kelly, une très sympathique et belle mannequin, qui suit assidument les visites de Monsieur Bernard, a dévalisé le dressing de son chéri. Monsieur Bernard est aux anges « même une veste en cuir ! ». Je lui explique qui est Kelly mais à son regard, je ne suis pas sûr qu’il ait tout compris. Peu importe, il est heureux et il a oublié sa tournée. Il ouvre une canette d’eau pétillante et dans une moue de connaisseur, il me fait savoir qu’il préfère la bière… Peut-être mais pas d’alcool quand il vient me voir… Il plie la chemise et la veste. Je lui explique alors que j’ai d’autres chemises de Kelly et qu’il peut passer les récupérer quand il le souhaite. Cette solution lui convient. Petite photo rapide. Cinq euros ou peut être un peu plus. Puis il me serre la main, s’en va et me promet de revenir bientôt.

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Un jour, le 17 juin 2016, Monsieur Bernard arrive en déclarant : « Je suis venu vous montrer comme je suis élégant ». Je suis sur le point de finir un shooting photo avec des clients et je lui demande de bien vouloir patienter un peu. Je lui amène rapidement un café et quelques viennoiseries que je réquisitionne sous le regard amusé de mes clients et de mon équipe qui connaissent bien les visites de Monsieur Bernard. Je retourne travailler et je vois Monsieur Bernard me faire des signes. Je le rejoins et il me dit d’un ton sérieux et peut être aussi un peu autoritaire, que le café est meilleur avec deux sucres… Oups, j’ai oublié les DEUX sucres. Je répare cette erreur instantanément. Ma séance de prises de vue se termine. Je rejoins Monsieur Bernard qui déguste tranquillement ses croissants et brioches. Il me fait remarquer qu’il est allé chez le coiffeur ( ?) et qu’il s’est taillé la barbe. ». Je lui dis qu’il est très élégant dans sa nouvelle veste de costume… Nous parlons un peu de cette météo capricieuse qui l’empêche de faire ses tournées tranquillement. « Il ne faut pas oublier de faire ma photo car je suis bien coiffé et bien rasé » me dit-il. « Et en plus, j’aime les photos… ». Je lui dis que, un jour, nous ferons un livre sur ses visites. Cela le fait rire. Puis il est intrigué par un arbre de mon jardin. C’est un néflier. Je lui demande s’il a déjà mangé des nèfles. « C’est un peu comme des topinambours » me répond-t-il avec un air malicieux. On éclate de rire ensemble et je lui promets de lui faire gouter dès qu’elles seront mures. Il empoche son petit billet et toute ma monnaie, me remercie chaleureusement, prend ses deux gros sacs et s’en va d’un pas pesant, le dos courbé, en me promettant de revenir bientôt.

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Un jour, le 04 Juillet 2016, Monsieur Bernard arrive vêtu d’une grosse veste en cuir. Je lui demande s’il n’a pas trop chaud. « Si un peu, mais elle est très belle ! » me répond-il. Je lui propose un verre d’eau et un café avec deux sucres. « Oui, avec deux sucres…, pas comme la dernière fois insiste-t-il. Pendant que je lui prépare son café avec deux sucres, je vois Monsieur Bernard se recoiffer et ajuster sa « belle » veste dans le reflet d’une vitre. Nous sirotons notre café et notre verre d’eau à l’ombre du néflier. Cette fois, les nèfles sont mures et je lui propose de les gouter. Au début, Monsieur Bernard est un peu réticent, mais il finit par en manger une bonne dizaine. « C’est bien bon » me dit-il en se léchant les doigts. Puis tout fier, il prend la pose pour notre photo rituelle. En regardant la photo, il éclate de rire en disant « Je suis bronzé comme si je revenais de vacances ! ». Puis Monsieur Bernard commence à me raconter qu’il a une nouvelle carte d’identité. Il se met à fouiller dans un de ses deux gros sacs en grognant. Il finit par la trouver dans la poche de sa veste. Il se redresse, se met « au garde à vous », et me dit « Elle est faite avec une de vos photos ». (Ça, c’est moins sûr… !). « Là-bas, à la mairie, c’est tous des « couillons… ». Heureusement que la dame qui m’a emmené, m’a bien aidé… ». Il n’en dira pas plus. Puis Monsieur Bernard part dans un monologue incompréhensible. Il s’assoit puis se lève, prend ses sacs, puis se rassoit et se relève… Monsieur Bernard est soudainement très perturbé. Je lui propose un verre d’eau. Son monologue, où je crois comprendre qu’il veut être un président à cinq millions et demi, dure encore quelques minutes puis cesse. Monsieur Bernard me parle alors de sa nouvelle tournée. Il me dit aussi qu’il aimerait bien une nouvelle chemise et un pull, même s’il fait chaud. Il les plie consciencieusement puis les met en boule dans son sac. Il cueille deux nèfles, me secoue la main en me remerciant sincèrement. Je lui dis de prendre soin de lui et de revenir bientôt.

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Un jour, le 04 Juillet 2016, Monsieur Bernard arrive vêtu d’une grosse veste en cuir. Je lui demande s’il n’a pas trop chaud. « Si un peu, mais elle est très belle ! » me répond-il. Je lui propose un verre d’eau et un café avec deux sucres. « Oui, avec deux sucres…, pas comme la dernière fois insiste-t-il. Pendant que je lui prépare son café avec deux sucres, je vois Monsieur Bernard se recoiffer et ajuster sa « belle » veste dans le reflet d’une vitre. Nous sirotons notre café et notre verre d’eau à l’ombre du néflier. Cette fois, les nèfles sont mures et je lui propose de les gouter. Au début, Monsieur Bernard est un peu réticent, mais il finit par en manger une bonne dizaine. « C’est bien bon » me dit-il en se léchant les doigts. Puis tout fier, il prend la pose pour notre photo rituelle. En regardant la photo, il éclate de rire en disant « Je suis bronzé comme si je revenais de vacances ! ». Puis Monsieur Bernard commence à me raconter qu’il a une nouvelle carte d’identité. Il se met à fouiller dans un de ses deux gros sacs en grognant. Il finit par la trouver dans la poche de sa veste. Il se redresse, se met « au garde à vous », et me dit « Elle est faite avec une de vos photos ». (Ça, c’est moins sûr… !). « Là-bas, à la mairie, c’est tous des « couillons… ». Heureusement que la dame qui m’a emmené, m’a bien aidé… ». Il n’en dira pas plus. Puis Monsieur Bernard part dans un monologue incompréhensible. Il s’assoit puis se lève, prend ses sacs, puis se rassoit et se relève… Monsieur Bernard est soudainement très perturbé. Je lui propose un verre d’eau. Son monologue, où je crois comprendre qu’il veut être un président à cinq millions et demi, dure encore quelques minutes puis cesse. Monsieur Bernard me parle alors de sa nouvelle tournée. Il me dit aussi qu’il aimerait bien une nouvelle chemise et un pull, même s’il fait chaud. Il les plie consciencieusement puis les met en boule dans son sac. Il cueille deux nèfles, me secoue la main en me remerciant sincèrement. Je lui dis de prendre soin de lui et de revenir bientôt.

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Un jour, le 27 Juillet 2016, Monsieur Bernard arrive visiblement bien fatigué et incommodé par la chaleur. Je m’empresse alors d’aller lui chercher une chaise et l’installe bien à l’ombre. Il refuse le verre d’eau fraîche mais après avoir un peu insisté, il le vide d’un trait et m’en redemande un autre. Je ne comprends rien à ce que Monsieur Bernard me raconte. Tout se mélange. A travers ces propos, je crois comprendre qu’il a dû se résoudre à changer de coin où il se réfugie la nuit. Il est maintenant dans le 8ème arrondissement (la mairie où il a fait refaire sa carte d’identité…). Mais je n’en saurais pas plus. Alors nous discutons assis côte à côte comme deux petits vieux à l’abri du soleil… En fait, c’est plus un monologue incompréhensible que Monsieur Bernard débite, ponctué de petits silences. Il me demande son café avec deux sucres et nous le sirotons en parlant de la météo et de la chaleur. Monsieur Bernard me demande à plusieurs reprises si je pars en vacances. Il essaie de mémoriser à voix haute les dates et se trompe à chaque fois. Sans transition, Monsieur Bernard me parle de sa barbe qui a poussé : « Je ressemble un peu à un poète avec ma barbe ! ». Un petit air de Georges Moustaki, peut être… J’acquiesce. Puis Monsieur Bernard me dit de le prendre en photo car il aime bien. Je lui montre la photo. « Je suis pas mal » dit-il en riant. Je lui propose alors de manger un peu. Il refuse. Il empoche précieusement son pécule. Et s’en va péniblement en me remerciant chaleureusement, comme d’habitude. Oui, comme d’habitude…

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Un jour, le 08 Septembre 2016, Monsieur Bernard arrive sous un soleil de plomb. « Vous me reconnaissez ? » me demande-t-il. « Car ma barbe a poussé… » . En effet sa barbe a pris du volume. « Vous auriez pas une petite bière ? ». Je lui réponds que je suis content de sa visite mais que je n’ai que de l’eau fraîche ou du jus d’orange. Il opte, en rechignant, pour un verre d’eau et un café avec deux sucres, bien évidemment. Nous parlons de la météo et de cette chaleur qui le fatigue. J’en profite pour lui resservir un verre d’eau. Il me dit qu’il est un peu pressé car il fait une sieste dans un parc et que sa tournée n’est pas terminée. Un petit billet en poche, il hésite un peu pour notre photo rituelle car il trouve que sa barbe est trop longue. Il accepte finalement. Alors qu’il commence à partir, il se retourne et me demande s’il peut se reposer un peu à l’ombre. Il choisit son arbre et s’endort aussitôt. Je retourne travailler dans mon bureau. Une demi heure plus tard, Monsieur Bernard se réveille. Il est un peu perdu et ses paroles sont confuses. Je le rassure. Il refuse le verre d’eau mais prend les deux canettes de soda. Il me remercie en me serrant vigoureusement la main. Monsieur Bernard s’en va et je l’entends parler tout seul. Je remarque qu’il boite un peu. Je le rejoins mais d’un geste de la main, il me fait comprendre qu’il n’a plus envie de parler.2016-09-08-frederic-bourcier-photographe-mon-pote-a-cinq-euros

 

Un jour, le 10 Octobre 2016, Monsieur Bernard arrive un peu avant midi. Son acharnement sur la sonnette contraste avec son regard rempli de lassitude. « J’avais peur de ne pas vous voir ». Je lui propose un café avec deux sucres. Il refuse. Les yeux rivés vers le sol, je l’entends me dire avec une voix à peine audible : « Excusez-moi, mais j’ai vraiment faim… ». Conscient de ses problèmes de dentition, la plus jeune de mes sœurs m’avait donné des repas pour bébés conditionnés comme les gourdes de compote : il y a plus d’emballage que de produit mais ces aliments en purée ne nécessitent pas d’être conservés au froid. Monsieur Bernard lit attentivement la composition « Epinard au saumon et poulet avec de la purée ». Il dévisse sa première gourde et l’avale d’un trait. Il acquiesce et s’attaque à la seconde puis range la troisième dans la poche de sa parka. Il me demande alors un café avec deux sucres et nous commençons à discuter de la météo, du froid qui arrive à grand pas. « Les nuits commencent à être vraiment fraîches ». Je lui demande s’il a besoin de vêtements. « Peut-être des chaussettes mais la prochaine fois » me dit-il. Après notre photo, il me montre les calendriers qu’il souhaite vendre. « Je passe avant la poste et les éboueurs… Je fais tout Lyon et sa banlieue ». « Du reste, il faut que j’y aille » me dit-il en me remerciant à plusieurs reprises. On se serre la main. Elle est un peu plus chaude que lorsqu’il est arrivé.

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Un jour, le 11 Janvier 2017, j’ai enfin retrouvé Monsieur Bernard après de nombreuses recherches. Monsieur Bernard va bien. Il est pris en charge par l’association Notre-Dame des Sans-Abri dans le 7ème arrondissement de Lyon. La personne du Samu social qui s’occupe de Monsieur Bernard va prendre contact avec moi. Je suis content, vraiment content…

 

Un jour, le 23 Mai 2017, je reconnais les coups de sonnettes de Monsieur Bernard. En allant ouvrir la porte, je n’ose pas croire à la venue de Monsieur Bernard. Plus de 7 mois sans une visite. Je l’ai cherché dans Lyon. J’ai passé de nombreux appels auprès d’associations qui travaillent avec le Samu social. J’ai été informé, le 11 janvier 2017, qu’il avait été pris en charge par une association proche de Notre-Dame-des-Sans-Abris et qu’il allait bien. Il y a 2 semaines, j’ai appris par la presse régionale et été alerté par des personnes qui suivent les visites de Monsieur Bernard, qu’un homme de 73 ans était décédé dans des circonstances qui pourraient être violentes dans ce même établissement. J’ai pris contact avec le commissariat. Avec gentillesse, ils m’ont confirmé que ce n’était pas lui. Et enfin, Monsieur Bernard est en face de moi. Toujours avec son regard malicieux. Je lui explique que je me suis fait beaucoup de soucis et que je l’ai cherché. Il me dit que je ne devrais pas m’inquiéter mais je vois dans ses yeux une certaine jubilation à ce que l’on soit inquiet pour lui. Bien sûr, un café avec 2 sucres assis sur une chaise que je lui ai amenée. Il me raconte, alors par petits bouts de phrase, qu’il est dans un établissement, qu’il a un petit coin à lui. Il mange matin et soir et surtout c’est gratuit. «Un bon hôtel-restaurant» dit-il en souriant légèrement. Il a bonne mine. Mieux que lors de sa dernière visite. Il me dit qu’il se méfie des autres pensionnaires et qu’il n’a pas d’amis. Monsieur Bernard me demande un autre café. Avec 2 sucres. Une personne (merci Jean-Pierre !), qui suit les visites, m’avait envoyé un somptueux colis rempli de vêtements d’hiver (pull en laine, gants, chaussettes, sous-pull, écharpes…). Je lui offre de sa part, comme un cadeau de Noël en retard.

Un silence lourd et pesant s’installe. Et là, j’ai vu Monsieur Bernard ému jusqu’aux larmes… Moi aussi. «Je peux tout prendre ?» me demande-t-il hésitant ? Bien sûr ! Il se rassoit un moment, puis me demande un sac solide pour emmener son cadeau. Il le range précieusement et me remercie une dizaine de fois. Nous retrouvons nos bonnes habitudes. Monsieur Bernard se met en place pour une photo. Ses propos sont maintenant un peu incohérents mais je suis content qu’il soit là. Je lui donne deux billets en lui disant que c’est pour rattraper le temps perdu. Il range soigneusement son pécule. On se serre chaleureusement la main. Il me promet de revenir bientôt. «Il est l’heure de retourner à l’hôtel» me dit-il. Il prend ses sacs et s’en va.

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Un jour le 28 Août 2017, Monsieur Bernard vient me rendre visite. Enfin ! Il souhaite me vendre un paquet de café à moitié éventré, mais toujours avec l’étiquette de sa pseudo-association qu’il a consciencieusement rédigée. «Je suis toujours le président de l’association» me dit-il fièrement. Ses cheveux et sa barbe ont poussé. Il me demande un café, avec 2 sucres. Je suis content de le voir. Je lui donne son billet et une poignée de monnaie que l’on met de côté en attendant sa venue. Nous discutons de la météo. Il me parle du foyer où il réside. Il a l’air d’aller mieux. Il est moins tourmenté quand il parle. Ma fille vient lui dire bonjour. Monsieur Bernard me dit qu’elle a bien grandi. Il me parle alors de sa fille Daphnée. Cette fois, sa version est différente des fois précédentes. Vraiment plus triste. Mais peu importe la véracité de ses propos. Un autre petit café avec 2 sucres avant de faire notre petit rituel photographique. «On fera un livre, un jour, pour se souvenir de moi» me dit-il. Pourquoi pas !. Il a l’air d’être content. Moi aussi. Il m’explique ses prochaines tournées car la saison des calendriers arrive. «Je veux passer avant les facteurs». Toujours son instinct de VRP. Puis il décide qu’il est temps de rentrer au foyer. «On mange à 7 heures, c’est un peu tôt, mais il y a souvent de la viande et des pommes de terre ! ». Il me serre chaleureusement la main en me promettant de revenir vers le 15 septembre. Sa main est toujours aussi douce. Il repart le dos courbé, un peu comme s’il marchait sur des œufs…Toujours avec ses deux gros sacs. Discret, ne jamais déranger.

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Un jour le 21 septembre 2017, j’arrive avec ma fille de chez sa nourrice. Monsieur Bernard m’attend devant le portail, avec un air de savant fou. Il a rasé sa barbe. Un calendrier à la main. « Je vous l’avais promis » me dit-il en me le présentant. L’énorme chien du voisin qui traîne dans l’allée stresse Monsieur Bernard. Je le fais vite rentrer dans le jardin car je sens qu’il va partir. Tout de suite, un petit café avec deux sucres. Monsieur Bernard est tout fier de son calendrier qu’il a lui même signé en tant que président de son association. Ma fille raconte à Monsieur Bernard que sa maman est à Paris et qu’elle aime le film « Ballerina ». « Bien ma petite ! » répète-t-il à chacun de ses mots. Puis Monsieur Bernard me dit qu’il n’aime pas les chiens car ils ne parlent pas et on ne peut savoir ce qu’ils pensent. Sûrement de mauvais souvenirs. Je lui demande s’il dort toujours dans le foyer du 7ème arrondissement. Il y a deux semaines, il me semble l’avoir aperçu tôt un matin en train de dormir sur un banc. Nous faisons notre photo. Monsieur Bernard se trouve beau. Monsieur Bernard me demande alors l’heure et me dit qu’il est temps de rentrer pour pouvoir manger au foyer. Nous parlons un peu de la météo et du froid qui va bientôt arriver. Monsieur Bernard me dit qu’il a oublié le nom et le nombre des mois dans l’année. Nous récitons alors ensemble le nom des mois comme de consciencieux petits écoliers lorsque le voisin vient récupérer son chien. Il nous regarde d’un air amusé. Les mois reviennent à sa mémoire et il semble rassuré. Il me dit qu’il n’a pas besoin de vêtements. Peut-être plus tard avec l’hiver. Et Monsieur Bernard se dépêche de partir avec ses deux gros sacs. « Pour ne pas rater le souper… ». 

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Un jour, le 20 décembre 2017, toujours pas de visite de Monsieur Bernard, et ce, depuis le 21 septembre. C’est long, trop long. J’ai pris contact avec les infirmières du centre où Monsieur Bernard a trouvé un toit et des repas chauds. Monsieur Bernard est pris en charge par le refuge de Notre-Dame des Sans-Abri, et au ton de la voix des infirmières, je peux affirmer, sans trop me tromper, que Monsieur Bernard est un peu leur «chouchou». Son beau regard malicieux et son humour ne les ont pas laissées insensibles… Elles m’ont expliqué, que la journée, Monsieur Bernard participe à des sessions de réinsertion. Le froid et son «programme chargé» expliquent l’absence de ses visites. Les infirmières m’ont également dit qu’un médecin avait accepté de le suivre régulièrement. Que de changements et de bonnes nouvelles ! Merci à toute l’équipe de ce refuge. Ses visites me manquent mais je suis content et rassuré pour lui. Je vais boire un café avec deux sucres à sa santé…

 

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Un jour, le 17 avril 2018, les beaux jours sont de retour, Monsieur Bernard aussi. Il a toujours cette même façon de s’acharner sur la sonnette. Sa dernière visite date du 21 septembre 2017. Monsieur Bernard est pris en charge jour et nuit par Notre-Dame des Sans Abri, et j’ai de ses nouvelles grâce à la gentillesse des infirmières de cette association. Monsieur Bernard se tient fièrement devant la porte.

Il est beau et propre comme un milord : pantalon de costume, chemise, veste et chaussures de ville cirées. « Je me suis même mis du parfum chez Auchan » me dit-il avec son sourire malicieux. « Et je veux bien un café avec deux sucres ». Je suis trop content de reprendre nos vieilles habitudes. Toujours ce moment de silence lorsqu’il remue consciencieusement son café. Il demande des nouvelles de ma fille. Il me raconte qu’il est très bien là-bas. « La nourriture est bonne et je suis libre comme je veux ». C’est vrai qu’il a vraiment bonne mine Monsieur Bernard. Il a eu 77 ans au mois de mars. Lui, trouve qu’il fait 75 ans sur la photo. Nous parlons bien sûr de la météo et il me promet de revenir bientôt. Il se trouve si élégant qu’il me demande de refaire une photo.

« Je prendrais bien un autre café et un verre d’eau… » Monsieur Bernard n’a pas envie de partir et cela me réjouit. Il me fait remarquer également qu’il a un paquet de gâteaux à vendre. Monsieur Bernard n’a pas perdu son sens de commerce. Tout content du billet compensant la rareté de ses visites, je lui rends son paquet de gâteau. « Ça m’arrange, me dit-il, je vais pouvoir le revendre ». Encore un peu de météo et les beaux jours qui arrivent. Puis il décide de partir et me fait remarquer qu’il est venu sans sac.  « Libre comme l’air » me dit-il et il a l’air heureux.

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Un jour, le 23 Octobre 2018, Monsieur Bernard vient enfin me rendre visite. Le matin même, j’avais pris contact avec Notre Dame des Sans Abris pour avoir de ses nouvelles. L’assistante sociale m’avait dit que Monsieur Bernard était toujours résident la nuit mais il ne restait plus sur place la journée. Je me réjouis de le voir en lui ouvrant la porte. Monsieur Bernard semble très fatigué. Il est tout rabougri et demande à s’asseoir. Je l’installe avec un café avec deux sucres. Les yeux dans le vague, il met un moment à commencer à parler. Je ne comprends pas ce qu’il me raconte. Il me parle de gens qui sont morts. Il dit qu’il reste seul. Je l’écoute en silence. Puis il me demande des nouvelles de ma fille. Je lui réponds qu’elle va lui faire un dessin. Petite lueur dans les yeux, il me dit «  Vous croyez, cela va pas la gêner ». Je le rassure. Il a l’air d’avoir froid assis sur sa chaise au soleil. J’insiste pour lui donner un pull. Il refuse et finit par accepter en me confirmant qu’il a froid. Je vais chercher un pull bien chaud. Monsieur Bernard a du mal à le mettre. Il est tout bloqué. Je l’aide. Cela le fait sourire. Il se rassoit et me demande un nouveau café avec deux sucres. Il mélange méticuleusement ses sucres dans son café. Monsieur Bernard regarde ma maison et me demande « c’est votre maison ? ». « Oui, je vis ici avec ma femme et ma fille ». Alors, le regard dans le vide, juste avant de boire une gorgée de café, il dit doucement « Ça doit être bien d’avoir une maison ». Je ne sais pas quoi répondre. Même si je suis mal à l’aise et gêné, Monsieur Bernard a raison : c’est bien d’avoir une maison pour mettre ses proches à l’abri. Monsieur Bernard me dit que mon pull est bien chaud. Puis il me dit qu’il ne vendra pas de calendriers cette année car c’est trop fatiguant. Monsieur Bernard est vraiment fatigué, tout recroquevillé sur sa chaise. Il veut faire une photo avec son nouveau pull. Il se lève péniblement et pose devant l’objectif, tout courbé. Je lui demande s’il souffre du dos, il me répond par la négative. Ses chaussures commencent à se percer et je lui dis de revenir lundi prochain. Je lui promets une paire de chaussure de ville noire, en cuir, de taille 43 et des paires de chaussettes noires. Je lui donne un billet. Il est doublement content !!! J’insiste pour qu’il revienne vite. Il me le promet mais je sais que sa mémoire lui fait souvent des blagues. Il le sait aussi. Deux heures plus tard, il repart tout vouté et péniblement. Il n’a pas ses sacs. Trop lourds. Je suis content mais inquiet. Plein d’amertume aussi…

série Mon pote à cinq euros portraits df réalisé par le photographe frederic Bourcier